La fierté perdue, la honte et la vengeance (Kentucky)
(Lire la totalité de ma présentation ici :
https://outsiderland.com/danahilliot/arlie-russell-hochschild-stolen-pride-loss-shame-and-the-rise-of-the-right/
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Le denier livre de la grande sociologue américaine Arlie Russell Hochschild, Stolen Pride. Loss, Shame, and the Rise of the Right (The New Press 2024), s’inscrit dans une série d’enquêtes qu’elle mène dans les États Rouges, qui votent massivement pour Trump aux États-Unis (80 % dans la ville qui fait l’objet de son étude). Elle avait auparavant travaillé avec des habitants de Louisiane, en Floride, matériau qui avait donné lieu à la publication, en 2016, du livre Strangers in their own land : Anger and Mourning on the American Right, New York, The New Press, 2016. Depuis, elle a passé beaucoup de temps dans une bourgade de l’Est du Kentucky, dans les Appalaches, un ancien bassin minier qui connut naguère la richesse pour l’exploitation du charbon – on connaît les images des montagnes dont les sommets sont littéralement rasés par les extracteurs. Cette manne s’est effondrée dans les années 90, et avec elle est apparu le chômage de masse, la généralisation de la pauvreté, et surtout, ce que Hochschild appelle la “honte” – c’est aussi le pays des Hillbilly (on traduirait les “bouseux” ou les “ploucs” en français – l’équivalent des Rednecks du Midwest) – moqués pas les populations urbaines libérales. Notez qu’on est au cœur du pays que JD Vance a pris comme emblème dans son fameux bouquin Hillbilly Élégie, livre dans lequel il récupère le sentiment de honte qu’il est censé partager pour le réorienter vers une haine des élites (et un sentiment de vengeance).
Ce que la sociologue essaie de comprendre, c’est pourquoi et comment les habitants de cette région se sont mis à voter massivement Trump en 2016 et 2020. Comme dans ses précédents ouvrages, elle mène sa recherche en interrogeant de nombreuses personnes habitant la petite ville de Pickeville, qui compte quelques milliers d’âmes, en orientant ses questions sous l’angle de ce qu’elle appelle les émotions – considérées comme des faits sociaux. Et particulièrement ici les affects de fierté et de honte (pride and shame), qui circulent et structurent une bonne partie des relations sociales dans un pays qui est fondamentalement constitué par ces émotions (le rêve américain « make America great again », et sa contrepartie, la honte ressentie par ceux qui échouent).
Le coup de génie si l’on peut dire du livre, c’est que les interviews s’organisent autour d’un évènement dramatique de la vie de la cité : l’organisation d’une marche de la droite radicale nationaliste menée par un certain Matthew Heimbach, néonazi de son état, et qui réunit des mouvements aussi sympathiques que, je cite : The Global Crusaders, The Order of the Ku Klux Klan, The League of the South, Knights of the Ku Klux Klan, National Socialist Movement (les Nazis américains), The Right Stuff, The Dirty White Boys, The Masons, The Council of Conservative Citizens, White Lives Matter, Identity Evropa, Vanguard America, Traditionalist Workers Party (le groupe de Matthew Heimbach basé en Indiana).
La perspective de cette marche crée un véritable effet de suspense, d’angoisse, de peur. Pourquoi ont-ils choisi cette petite ville oubliée de tous ? Doit-on autoriser cette manifestation ? (et quelles précautions devra-t-on prendre si tel est le cas ?)
Arlie Russell Hochschild pose ces questions à toutes celles et ceux qu’elle rencontre, mais aussi à ce fameux Matthew Heimbach qu’elle interviewe longuement et auquel elle consacre un chapitre entier.
Je voudrais juste citer (et traduire) ici deux passages du livre : les derniers paragraphes des chapitres consacrés respectivement à l’organisateur de cette marche, et aux personnes visées par le récit suprématiste, celles qui sont accusées d’avoir « volé la fierté » des nationalistes blancs américains : une femme afro-américaine, un médecin indien-musulman et un ancien juriste juif.
==> (voir sur mon blog)
https://thenewpress.org/books/stolen-pride/
#Trump#WhiteNationalism#Supremacism#ArlieRussellHochschild